jeudi 21 février 2008

L'erreur d'Ayaan Hirsi Ali, par Dounia Bouzar

LE MONDE, 15.02.08.
Ayaan Hirsi Ali ne le fait certainement pas exprès, mais elle
renforce le pouvoir des terroristes en présentant l'intégrisme comme le produit de l'islam. Que la France la protège est naturel, mais que la France l'écoute serait contre-productif pour la sécurité !
Accuser ou défendre l'islam n'est plus le thème du débat. L'urgence est de combattre ce processus d'extension externe et de purification interne - puisque les premières victimes sont musulmanes. Comment affaiblir l'intégrisme ? Là est la vraie question. En le présentant comme l'application littérale de l'islam, Ayann Hirsi Ali valide la définition de l'islam des intégristes et sacralise les propos de ces illuminés.
Cette position est grave de conséquences. D'abord, cela parasite le traitement du phénomène, puisque ceux qui respectent le sacro-saint principe de liberté du culte vont nier ce phénomène et vont accepter n'importe quoi pour ne pas avoir le sentiment de devenir "islamophobes". D'autre part, accuser l'islam d'être l'essence de l'intégrisme empêche de se pencher sur les procédés d'endoctrinement. Car le discours radical existe dans toutes les religions depuis la nuit des temps. Pourquoi celui qui utilise l'islam fait-il de plus en plus autorité ? Par quels procédés arrive-t-il à métamorphoser des êtres humains en véritables machines meurtrières n'importe où et n'importe quand ?
Lorsque Ayaan Hirsi Ali prétend que la critique de l'islam combattra l'intégrisme, elle se trompe encore. Les intégristes n'ont que faire des discussions théologiques. Ce qui les intéresse, c'est de faire dire à l'islam ce qu'ils ont envie qu'il dise. Si un autre moyen leur procurait de la toute-puissance et de l'extase, ils l'utiliseraient... Dieu ne les intéresse pas. Ce qu'ils veulent, c'est prendre la place de Dieu. Aucune réforme théologique ne les ralentira. Ce qui les caractérise, ce n'est pas la connaissance religieuse, mais le degré d'aliénation mentale qui règne au sein du groupe.

Il serait temps de se pencher sur les processus d'endoctrinement. Se contenter de détruire les têtes pensantes ou d'accuser l'islam ne permet pas d'étudier les interactions entre les leaders et tous ceux qui les écoutent. Pendant longtemps, les experts ont lié l'intégrisme à la perte d'espoir social. D'autres l'expliquaient par la chute des grandes idéologies de combat. Les événements internationaux - notamment les attentats de Londres en 2005 - montrent que certains jeunes terroristes étaient ingénieurs et médecins, complètement insérés dans le milieu où ils évoluaient. La question de la perte d'espoir social, même si elle fait partie des causes, n'explique pas tout.

Le discours intégriste repose sur sa capacité à mobiliser un mouvement de masse dans un projet de régénération, d'unification et de purification. Le discours fait autorité en promettant au peuple de le transformer et de changer le sens de l'Histoire, en l'arrachant à la décadence et au déclin. (Comme en Israel, le projet sioniste de l'Eretz Israel?)

Le premier objectif du prédicateur consiste à subordonner l'individu à la communauté autour de la suprématie de l'identité religieuse. Afin de créer l'unité totale entre ses membres, l'individu ne doit plus avoir de droits en dehors des intérêts de la communauté. Il faut donc redessiner les frontières entre la sphère privée et la sphère publique, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de la première. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de l'individu. Il s'agit d'exacerber les différences avec les "autres", c'est-à-dire tous ceux qui n'adhèrent pas à la secte. Et d'exagérer les ressemblances entre "adeptes", jusqu'à provoquer l'amalgame. Parce qu'à l'intérieur du groupe, les uns ne doivent pas se distinguer des autres. Le jeune doit perdre ses contours identitaires, avoir le sentiment de percevoir exactement les mêmes émotions que ses "frères", d'être absolument le "même". Toute différence doit être anéantie ! Toutes les idéologies de ruptures reposent sur des exaltations de groupe. La fusion naît de l'illusion des adeptes d'avoir les mêmes émotions... Pour cela, il faut une seule grille de lecture du monde, ce qui optimise la communication interne puisque chacun est relié à un même mode de référence.

Les propos d'Ayaan Hirsi Ali nourrissent ce processus. Définir les "musulmans" comme une entité homogène revient à se placer sur les mêmes postulats que les discours terroristes en réduisant des individus à leur "dimension musulmane". Au contraire, les discours médiatiques et politiques doivent s'appliquer à valoriser l'hétérogénéité des parcours et des positionnements des individus à référence musulmane, les considérant ainsi comme sujets porteurs d'une histoire spécifique. La modernité consiste justement à désacraliser les propos des prédicateurs en rappelant que les interprétations religieuses sont toujours de simples compréhensions humaines. C'est ainsi que l'on pourra brouiller le système de communication des radicaux, en utilisant des registres d'expression différents.

Pour affaiblir les intégristes, la seule solution consiste à leur ôter leur justification : l'islam ! Autrement dit, il y a urgence à définir les critères qui distinguent l'intégrisme de l'islam, afin de le prendre pour ce qu'il est : un vulgaire terrorisme à éradiquer sans état d'âme.

Qu'est-ce qui est de l'ordre de la liberté de conscience et de culte (garantie, n'en déplaise à certains, par la Constitution et la loi de 1905) et qu'est-ce qui révèle un dysfonctionnement et du radicalisme ? Les repères sont clairs pour les autres religions, mais pas pour l'islam. En se trompant de diagnostic, les autorités politiques ou institutionnelles ne pourront pas être efficaces. Que cela débouche sur du laxisme ou de la diabolisation, l'amalgame avantage toujours les intégristes.

Bio de Dounia Bouzar
http://www.portail-religion.com/encyclopedie/b/Dounia_Bouzar/Dounia_Bouzar.php
"Non à l'Islam-prétexte", publié dans LeMonde en 2003
http://www.bladi.net/1219-non-a-l-islam-pretexte-par-dounia-bouzar.html

J'ai toujours pensé que le clan "Bush avait besoin du clan "ben Laden" et inversement pour exister. Chacun justifiant ses choix, son idéologie par réaction "légitime" face aux exactions de la partie adverse. L'essentialisme, les réductions, culturelles, sociales, religieuses, l'approche manichéenne entrainent la diabolisation de l'adversaire et de tout semblable à celui-ci (par exemple: les "Musulmans, les "Arabes" et le terrorisme). Pour premières conséquences, le repli sur soi, la peur de l'Autre. Autres conséquences l'acceptation d'envoi en "croisade" contre l'énemi, l'acceptation de dommages collatéraux immenses, un coût financier conséquent ainsi qu'une perte de crédibilité de notre civilisation et valeurs face au reste du monde.
En face, le même mécanisme est identique.
Ces deux "clans", ne sont-ils pas le miroir de leurs propres misères intellectuelles et declin moral? Leur incapacité à se remettre en cause, à vivre le monde d'aujourd'hui, risquer sa rencontre, parier sur l'altérité?

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