jeudi 21 janvier 2010

Représentation de l'Islam en France, par Dounia Bouzar

Quelques extraits du Chat sur le site Lemonde.fr du 19.01.2010:

(...)Le meilleur acte politique, ce serait, dans la vie de tous les jours, d'appliquer les mêmes lois aux citoyens musulmans qu'aux autres. De nombreuses occasions se présentent tous les jours. Mais le problème est que les musulmans sont considérés comme très différents par nature, et du coup, on ne les traite pas comme les autres, dans les deux sens : soit on accepte d'eux des choses qu'on n'accepterait pas d'autres, soit ils sont diabolisés et discriminés.
C'est aux citoyens français d'être clairs. Soit on applique la loi de 1905 et on dit : on est un système laïque au sens de la loi : la République garantit la liberté de croire et de ne pas croire. Il ne faut plus être de la religion du roi pour être sujet du roi. Donc aucune vision du monde n'est supérieure à une autre. Dans ce cadre, on peut être 100 % français, de culture française d'ailleurs, et musulman, bouddhiste, juif ou chrétien.

Soit on décide qu'il faut être encore d'une seule religion ou athée pour être français, on dit clairement qu'on est restés catholiques, et on abroge la loi de 1905. Il y a un choix à faire. On ne peut pas continuer à dire qu'on est laïque si on continue à obliger les gens à être soit athées, soit catholiques. En revanche, il faut les éduquer à respecter la vision du monde des autres et à ne pas imposer la sienne propre, ce qui n'est jamais fait. Par exemple si on accepte que quelqu'un ne mange pas de viande, on l'habitue à manger avec Elisabeth qui, elle, mange du porc.

Je suis persuadée que la meilleure façon de respecter les musulmans, si c'est votre souhait, c'est de traiter Hamid comme Jean-Pierre, et Mona comme Martine. C'est-à-dire éviter d'appliquer des critères différents en pensant que "chez eux, c'est comme ça". Parce qu'on ne rencontre jamais des religions, on ne rencontre jamais des cultures, on rencontre des êtres humains qui se sont approprié différents éléments qu'ils interprètent eux-mêmes et qui bougent. La meilleure marque de respect, c'est de laisser la personne se définir elle-même. Et un autre détail important : l'islam ne parle pas, je veux dire que le Coran est un texte sacré pour les musulmans, mais il faut se souvenir que les interprétations sont toujours humaines.

Cela veut dire que quand je grandis à New York, à Rabat ou à Paris, si je suis analphabète ou si je n'ai bac + 10, quand j'ouvre mon Coran, je ne comprends pas la même chose, je comprends ma religion à partir de ce que je suis. Si j'ai grandi depuis l'école maternelle avec Elisabeth qui ne croit pas en Dieu, avec David qui est juif et avec Marie qui est catholique, je comprends mon texte d'une autre façon.

Alexandre: Ne pensez-vous pas que la peur actuelle de l'islam, peur que l'on découvre ou qui résulte du débat lancé par le gouvernement, provient plus de l'ignorance que d'une réalité? Plutôt que de débattre, ne faudrait-il pas que le gouvernement ou des représantants des divers courants de l'islam présent en France mettent en place des moyens "d'éducation" afin de mieux faire connaître l'islam, tant aux autres religions qu'aux musulmans de France eux-mêmes ?

C'est vrai que c'est scandaleux de voir que les livres d'histoire de l'éducation nationale continuent à faire des encadrés avec des stéréotypes sur la polygamie ou le djihad, validant ainsi l'interprétation d'intégristes. Mais au-delà de l'ignorance, je crois qu'il y a aussi une difficulté à penser qu'on peut être à la fois croyant-pratiquant et utiliser la raison. Cela semble incompatible aux yeux de beaucoup de citoyens.

Nawfel : pourquoi le sujet de l'islam devient il récurent à chaque période où la France se trouve en crise ?

Parce que c'est une façon de faire l'économie des remises en question sociales et politiques. En disant que les gens ont une autre culture ou que c'est à cause de la religion, on ne parle pas des discriminations, par exemple, ou même de la perte d'espoir social. Cela s'appelle diviser pour régner.

André : Il est évident qu'il est de plus en plus difficile de s'affirmer en tant que musulman, mais paradoxalement, je pense que sans cette difficulté, il n'y aurait pas de reconnaissance ad hoc de cette communauté.

Déjà je ne pense pas qu'il y ait une communauté musulmane en France, il y a des citoyens français de confession musulmane qui ont écouté les mêmes musiques, qui ont regardé les mêmes films, c'est-à-dire qui sont vraiment de culture française, mais qui ont besoin de leur religion. Est-ce qu'ouvrir l'abcès aide à avancer ? Je pense que cela dépend si l'on fait penser les gens ou si l'on veut enfermer une partie d'entre eux dans une pseudo-étrangéité.

Je pense que si on ne fait rien, cela veut dire que dans cinq ans, quand on verra un drap noir, on va se dire : tiens, voilà une musulmane. Ce qui m'embête, comme vous l'avez dit, c'est que des groupuscules veulent faire passer le drap noir pour une simple application de l'islam. Donc respecter l'islam, savoir que ce n'est pas une religion archaïque, c'est s'arrêter, c'est être choqué, c'est interroger, c'est se poser des questions. En même temps, si l'on fait une loi en parlant de laïcité, là aussi, on donne du pouvoir à ces groupuscules, parce qu'on traite leur comportement comme s'il était religieux. Donc on valide leur interprétation.

Je trouve intéressant la position des Belges qui a été de dire à tous les citoyens : on ne peut pas se masquer quand ce n'est pas carnaval, car chaque visage est différent et différenciable, chaque être humain a des contours identitaires, et c'est un règlement transversal qui s'applique à tous les Belges. On parle comme si ce n'était pas religieux.

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